Le designer américain vient de recevoir l'un des prix de design les plus prestigieux, et c'est plus que mérité.
Chris Bangle, le designer automobile connu notamment pour ses voitures au style parfois controversé, vient de se voir décerné le très prestigieux American Prize for design. Ce prix, décerné conjointement par le musée Chicago Athenaeum et le Centre européen d'architecure et de design, récompense chaque année un engagement « versl'excellence, l'innovation et le design durable. »
Le designer américain, né dans l’Ohio en 1956, est considéré comme une sorte de rock star par ses pairs, qui voient en lui une référence. Gordon Wegener, patron du design Mercedes, déclare ainsi à son sujet qu’il est « un vrai visionnaire, et quelqu’un qui porte une réflexion particulière. Il a toujours été en avance sur son temps, et créé des voitures et des produits qui le sont aussi. Il est une inspiration pour tous les jeunes designers, comme il l’a été pour moi. »
Précisons que Wegener a déjà reçu le même prix par le passé, tout comme l’architecte britannique Norman Foster ou les designer Flavio Manzoni (Ferrari) et Karim Rashid.
La carrière de Chris Bangle est émaillée de nombreux coups d’éclats, avec des créations souvent dérangeantes de prime abord, mais qui résistent étonnamment bien à l’épreuve du temps.
Chez BMW, où il a œuvré de 1992 à 2009 avec pour mission - réussie - de détrôner Mercedes de son piédestal, il a entre autres « signé » la célèbre Série 7 E65, dont le style avait défrayé la chronique à l'époque (voir interview ci-dessous)...mais qui avait connu un beau succès commercial. Retrouvez ci-dessous quelques-une de ses créations les plus marquantes.
Lancée en 2001, la Série 7 E65 n'avait qu'un tort: celui d'avoir quinze années d'avance en termes de style.La Série 7 E65 avait été préfigurée par le concept Z9 Gran Turismo (1999), qui inaugurait un langage formel dont on perçoit encore l’influence aujourd’hui dans les productions de la marque.L’ère Bangle chez BMW avait aussi été marquée par la présentation de l’incroyable concept GINA Light Visionary Model (2008), dont la carrosserie « souple » (un textile spécial tendu comme une peau sur un treillis en aluminium), alternant surfaces convexes et concaves, préfigurait une plus grande liberté d’action pour les stylistes. Même si l’application d’un tel procédé en série est irréaliste, la démarche avait le grand mérite d’ouvrir de nouvelles perspectives. Bangle (en haut à gauche sur la photo) avait démarré sa carrière chez Opel, entre 1981 et 1985. Il avait été notamment en charge du design intérieur du concept Opel Junior, en 1983.lI avait ensuite rejoint le groupe Fiat, où il avait supervisé la création du très attachant coupé, dévoilé en 1993, et s’était aussi impliqué dans celle de l’Alfa 145.Interview Chris Bangle (archive)
"Les crossovers mollassons marquent le triomphe du marketing."
En novembre 2017, Bangle dévoilait le projet REDS dans le cadre du salon de Los Angeles. Cette minicitadine de 2,9 m à motorisation électrique innovait grâce à un aménagement intérieur sophistiqué. Au programme, un siège conducteur pivotant, une banquette arrière pouvant être convertie en canapé ou en support permettant de changer un bébé, et surtout un étonnant aimant à regards. Le designer avait accordé à cette occasion une interview à votre serviteur, dont voici des extraits :
Est-ce que REDS est toujours une voiture?
C'est une bonne question, qui peut être reliée à celle-ci, plus fondamentale : "qu'est-ce qu'une voiture, au juste?" J'ai toujours expliqué qu’il y avait une différence entre une "voiture" - qui est principalement une projection de type avatar de vos émotions et de votre identité - et une «automobile». Le «véhicule auto-mobile»est à peu près aussi personnel et mémorable qu'un ascenseur (également un «véhicule auto-mobile», vous remarquerez). La différence est entièrement une question d'expérience et de goût. La voiture d'une femme sera juste une automobile aux yeux d’une autre femme. De même, vous gardez un vif souvenir de cette voiture de troisième main avec laquelle vous avez fait vos premières armes au volant et que vous laviez si consciencieusement, alors que vous ne vous souvenez pas de l'automobile-taxi dont vous venez de sortir, pourtant de la même marque et du même modèle. "Les automobiles sont ce que j'utilise et les voitures sont ce que je suis", m'a dit une dame. Dans cette perspective, REDS est clairement une voiture avec des caractéristiques qui la rendent mémorable, et notamment toutes ces variations de couleurs et de garnitures qui contribuent à la personnaliser. En tant que projection de soi, REDS vous renvoie l’image du «moi intelligent », plutôt que celle du très freudien «le mien est plus long que le vôtre».
La provocation est-elle une nécessité vitale si vous voulez créer de l'émotion?
Je doute de l'utilité de comprendre quelque chose d'aussi compliqué que le design et les émotions humaines à travers le seul prisme de la provocation. Mais lorsque le design des voitures devient prévisible et ennuyeux au point de nous engourdir dans l'indifférence, peut-être la provocation est-elle un prix raisonnable à payer pour susciter à nouveau l’intérêt…
Le projet REDS aurait-il été différent s’il avait été développé par un constructeur traditionnel ?
Il n'existerait probablement même pas.
Pourquoi vos voitures semblent-elles tellement mieux en vrai que sur la photo?
Comme le montrent les photos de livres de cuisine, les récits de voyage et la pornographie, rien ne touche à la satisfaction de la réalité.
Avez-vous été affecté par le mouvement anti-Bangle quand vous étiez chez BMW?
Je regrette cette période où les gens accordaient une dimension personnelle au design automobile. Les gens s’étaient approprié les marques avec leurs propres interprétations, et se sont énervés lorsque l'entreprise - à travers le design - a décidé de changer le style dont ils pensaient être les dépositaires. Depuis, les « nounous » des marques ont dépensé beaucoup d'énergie en leur disant à tous comment ils devraient penser et se sentir, et plus rien ne les offusque…
Je dois avouer quelque chose. Je détestais le design de la Série 7 E65 à son lancement, et je pense maintenant que cette voiture est fantastique parce qu'elle est incroyablement moderne. Mieux :je rêve maintenant d’en avoir une ! Donc, OK, vous aviez tout à fait raison en créant un nouveau langage formel. Mais n'est-ce pas un problème d’avoir raison trop tôt?
Quelle belle confession. Je suis heureux que vous ayez fini par aimer l'E65. Si une entreprise ne raisonne qu’à court terme, une telle évolution dans le design peut effectivement poser problème. Heureusement, la haute direction de BMW à l'époque était non pas intéressée par la «prochaine tendance », mais la «prochaine-prochaine tendance ». Ils étaient bien meilleurs en prospective que de nombreuses autres entreprises avant ou depuis.
Aujourd'hui, que pensez-vous du design automobile? Ennuyeux ?
Le design des voitures pourrait connaître une légère embellie grâce à la détermination acharnée des gars de Lexus à faire passer leurs idées. Ces formes difficiles et provocantes méritent une considération plus appuyée.
Parlons des voitures françaises en quelques mots. Que pensez-vous de l’Alpine A110? De la Citroën C3 Aircross? De la DS7 Crossback?
Il faut croire que le monde avait vraiment besoin de ce retour d’Alpine. J'espère qu’au moins les designers se sont amusés avec cette étude sur le revivalisme. Quant à Citroën, ils sont entraînés dans cette spirale généralisée des crossovers mollassons qui font le bonheur des équipementiers et marquent le triomphe du marketing sur l'authenticité, l'unicité et le caractère. D'une manière ou d'une autre, l'image du président Macron émergeant du toit ouvrant d'un DS7 Crossback ne se compare pas à celle de De Gaulle échappant aux assassins à bord de sa DS. Ils auraient par exemple pu supprimer le montant central de carrosserie, pour rafraîchir l’ensemble, mais les délicieuses extravagances de ce genre sont les premières éliminées quand commence le long cheminement vers la voiture de série. A part ça, je suis sûr que ce sont de bonnes voitures.